Présentation
En février 2013, 26 experts de 12 pays se sont réunis au Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), Lyon, France, afin de réévaluer la cancérogénicité des polychlorobiphényles (PCBs) et des polybromobiphényles (PBBs). Ces évaluations seront publiées en tant que volume 107 des monographies du CIRC1.
Les PCBs sont une classe de composés aromatiques comprenant 209 congénères, chacun contenant un à dix atomes de chlore fixés à un noyau biphényle. Les produits techniques de PCB, qui ont été fabriqués de sorte à obtenir un certain niveau de chloration, sont des mélanges de plusieurs congénères de PCB. Ces produits étaient largement utilisés comme fluide diélectrique dans les condensateurs et transformateurs, et dans une moindre mesure dans des matériaux de construction (par exemple mastic, peintures, et ballasts d’éclairage). La production et les nouvelles utilisations de PCB ont été interdites dans la plupart des pays avant les années 80, mais une activité de production a été identifiée récemment en Corée du Nord.
Auparavant, l’exposition professionnelle la plus forte était celle observée lors de la fabrication des PCBs et des transformateurs, des condensateurs ; aujourd’hui, l’exposition peut provenir de la démolition, du dysfonctionnement ou du recyclage incontrôlé de structures ou d’équipements contaminés par des PCBs. Les PCBs sont persistants et s’accumulent dans les organismes vivants ; ils sont devenus des polluants ubiquitaires de l’environnement, y compris dans les régions polaires et dans les eaux profondes. Du fait de l’altération et de la biotransformation, les profils de PCBs rencontrés dans l’environnement ou lors d’une biosurveillance diffèrent de ceux des produits commerciaux. La population générale est exposée surtout via l’alimentation, principalement par les graisses animales contaminées ; deux épisodes majeurs d’intoxication alimentaire ont eu lieu au Japon et à Taïwan, en Chine, où des huiles de cuisson ont été accidentellement contaminées par des PCBs. L’air intérieur peut aussi contribuer à l’exposition humaine. Des programmes de surveillance à travers le monde ont montré que les PCBs sont présents dans la plupart des échantillons de lait humain.
Les congénères de PCB peuvent être catégorisés selon leur degré de chloration, leur profil de substitution, ou leur affinité de fixation aux récepteurs. 12 congénères présentant une forte affinité pour le récepteur aryl hydrocarbone (AhR) sont considérés comme des PCBs de type dioxine (PCB-DL). Les PCBs sont facilement absorbés et distribués dans le corps, et s’accumulent dans les tissus adipeux. La biotransformation de tous les congénères de PCBs commence par une mono-oxygénation cytochrome P450-dépendante. Les PCBs faiblement chlorés sont facilement métabolisés en espèces électrophiles hautement réactives (i.e. oxydes d’arène, quinones) qui, en plus de provoquer des adduits à l’ADN et des espèces réactives de l’oxygène, sont directement génotoxiques et mutagènes2. En revanche, les PCBs hautement chlorés sont faiblement métabolisés mais, par induction des enzymes du métabolisme des xénobiotiques, peuvent également générer des espèces réactives de l’oxygène, la peroxydation lipidique, des adduits à l’ADN oxydatifs et alkylés, et peuvent au final causer des effets génotoxiques.
Les PCBs activent individuellement de nombreux récepteurs, dont l’AhR et les récepteurs constitutifs aux xénobiotiques androstane et pregnane (CAR/PXR). L’activation du AhR est un des évènements clés lié à la cancérogénèse médiée par les PCBs de type dioxine. L’activation prolongée conduit au dérèglement du contrôle du cycle cellulaire et de la prolifération cellulaire, à l’inhibition de l’apoptose, à la suppression de la communication et de l’adhésion intercellulaires, et augmente la plasticité et le caractère invasif des cellules. Les PCBs qui ne sont pas de type dioxine (PCB-nDL) induisent nombreux de ces effets via des mécanismes indépendants du AhR, dont l’activation des récepteurs constitutifs aux xénobiotiques androstane et pregnane, et des perturbations de la communication et de l’adhésion intercellulaires.
Les PCBs peuvent mettre en péril le mécanisme de surveillance immunitaire. Les PCBs hautement chlorés avec une forte affinité pour l’AhR sont de puissants toxiques pour les fonctions immunitaires ; les PCBs plus faiblement chlorés, qui sont moins immuno-toxiques, agissent via des mécanismes AhR-indépendants, dont l’activation métabolique. Les PCBs faiblement chlorés et les PCBs fortement chlorés sont tous deux associés à des réponses inflammatoires chroniques. Les PCB-nDL peuvent stimuler la production de médiateurs de l’inflammation, alors que les PCB-DL peuvent inhiber une telle réaction. En revanche, certains PCB-DL peuvent perturber le fonctionnement normal de l’endothélium vasculaire, alors que les PCB-nDL ne le peuvent pas.
Les PCBs ciblent le système endocrinien. Plusieurs modèles ont démontré la modulation directe par les PCBs de l’expression génique dépendante des hormones stéroïdes nucléaires. De plus, selon leur structure, les métabolites monohydroxylés des PCBs peuvent agir comme agonistes ou comme antagonistes aux œstrogènes. Ces perturbations pourraient avoir des conséquences reproductives, toxiques, et cancérogènes.
Le Groupe de Travail a analysé plus de 70 études épidémiologiques indépendantes apportant des données informatives sur la cancérogénicité des PCBs chez l’Homme. Des excès de risque de mélanome ont été rapportés dans plusieurs études, principalement des études de cohortes de travailleurs dans la fabrication de condensateurs et de transformateurs, et dans la maintenance d’alimentation et d’équipement électriques. Une dose-réponse linéaire significative a été montrée dans l’étude la plus importante3. Dans une étude de cas-témoins en population qui évaluait l’exposition aux PCBs à l’aide de concentrations sanguines, l’association persistait après ajustement sur la sensibilité au soleil et sur l’exposition4. L’association entre mélanome et PCBs a été retrouvée de manière cohérente dans les études en population professionnelle dans différentes industries d’Amérique du Nord et d’Europe, dans des études en population générale, et avec des études de type cohortes ou cas-témoins. Le Groupe de Travail a donc conclu qu’il existait des indications suffisantes de la cancérogénicité des PCBs pour l’Homme. Le AhR notamment peut moduler la mélanogénèse5, ce qui augmente la plausibilité de cette association au niveau mécanistique. Des risques augmentés de lymphome non-Hodgkinien et de cancer du sein ont aussi été mentionnés, et les deux sont biologiquement plausibles. Cependant, les associations n’étaient pas cohérentes et ont été considérées comme fournissant des indications limitées. Les données sur les autres localisations de cancers étaient trop rares pour en tirer des conclusions.
La cancérogénicité des PCBs chez l’animal a été évaluée pour des congénères individuels ; des mélanges binaires de congénères ; des mélanges techniques contenant des congénères variés ; et des simulations de mélanges environnementaux, dans des études de cancérogénicité de deux ans ; des études avec une exposition péri-natale et post-natale ; et des études qui évaluent les activités d’initiation et de promotion des PCBs. Des congénères individuels (PCB118, PCB126) et plusieurs produits commerciaux hautement chlorés induisaient des tumeurs bénignes et malignes du foie, du poumon, et de la muqueuse orale chez le rat ; ces études ont fourni des indications suffisantes de cancérogénicité chez l’animal6,7. Ces congénères et mélanges incluent des agonistes du AhR avec des activités de type dioxine, et des agonistes du CAR8. D’autres congénères de PCB (PCB153) et les produits commerciaux faiblement chlorés, qui sont beaucoup moins étudiés que les produits fortement chlorés, ont montré des indications limitées de cancérogénicité chez l’animal9. Les contributions relatives des différents congénères de PCB à la cancérogénicité des mélanges commerciaux ne sont pas connues.
Globalement, tous les PCBs peuvent induire la formation d’espères réactives de l’oxygène, des effets génotoxiques, une suppression immunitaire, une réponse inflammatoire, et des effets endocriniens à différents degrés et par différentes voies. Les PCB-DL exercent leurs effets principalement par activation du récepteur AhR et par la cascade d’événements qui en résulte ; les PCBs moins chlorés agissent plus facilement par activation métabolique et par les effets résultant de ces métabolites. Les mélanges peuvent donc avoir un effet plus qu’additif.
Sur la base d’indications suffisantes de cancérogénicité chez l’Homme et chez l’animal, le Groupe de Travail a classé les PCBs comme cancérogènes pour l’Homme (Groupe 1). De plus, les PCBs de type dioxine ont aussi été classés dans le groupe 1 sur la base de fortes indications d’un mécanisme de cancérogénèse via le AhR, qui est identique à celui de la 2,3,7,8-tetrachlorodibenzo-para-dioxine, et d’indications suffisantes de cancérogénicité chez l’animal. Cependant, la cancérogénicité des PCBs ne peut être attribuée uniquement à celle des PCBs de type dioxine.
Les PBBs ressemblent aux PCBs, avec des atomes de brome à la place des atomes de chlore. Les PBBs étaient utilisés principalement comme retardateurs de flamme dans les années 70, mais leur production a été interrompue dans la plupart des pays depuis de nombreuses années. Une contamination par les PBBs a eu lieu dans le Michigan, aux Etats-Unis, où ils ont été disséminés par inadvertance comme complément d’alimentation animale, contaminant ainsi de nombreux produits de l’agriculture. Comme les PCBs, les PBBs sont très lipophiles, se concentrent et s’accumulent dans les organismes vivants et sont des contaminants environnementaux dans le monde entier. FireMaster FF-1, le produit de PBBs le plus largement commercialisé, induit de manière constante des tumeurs hépatocellulaires bénignes et malignes chez le rat et la souris, et des cholangiocarcinomes chez le rat10. Les PBBs, comme leurs analogues chlorés, sont des ligands pour plusieurs récepteurs cellulaires et nucléaires, dont le récepteur AhR. Ce sont des inducteurs efficaces du métabolisme hépatique des médicaments, accélérant la biotransformation de composés endogènes comme de composés exogènes. Les PBBs induisent plusieurs effets délétaires, dont la suppression du système immunitaire et la perturbation de la fonction hormonale normale. Ce sont des promoteurs efficaces dans les études de cancérogénèse hépatique par administration séquentielle chez le rongeur. Bien que les PBBs aient fait l’objet de moins d’attention et d’étude, les données disponibles indiquent que les congénères de PBBs expriment leurs effets toxiques et cancérogènes potentiels par les mêmes voies que leurs homologues chlorés. Sur la base de ces similitudes avec les PCBs, et du fait d’indications inadéquates de leur cancérogénicité chez l’Homme et d’indications suffisantes chez l’animal, les PBBs ont été classés dans le groupe 2A, probablement cancérogènes pur l’Homme.
Béatrice Lauby-Secretan, Dana Loomis, Yann Grosse, Fatiha El Ghissassi, Véronique Bouvard, Lamia Benbrahim-Tallaa, Neela Guha, Robert Baan, Heidi Mattock, Kurt Straif, pour le Groupe de Travail du Centre International de Recherche sur le Cancer, IARC, Lyon, France.
Nous déclarons que nous n’avons aucun conflit d’intérêt.
Article disponible en anglais
Lauby-Secretan B, Loomis D, Grosse Y, Ghissassi FE, Bouvard V, Benbrahim-Tallaa L, et al. Carcinogenicity of polychlorinated biphenyls and polybrominated biphenyls. The Lancet Oncology. 2013 Apr;14(4):287–8: https://doi.org/10.1016/S1470-2045(13)70104-9
Pour plus d’informations sur les Monographies du CIRC, voir : http:// monographs.iarc.fr
Membres du Groupe de Travail
V J Cogliano (Etats-Unis)–Chair; K Aronson, H Tryphonas (Canada); Y L Guo (Taiwan, Chine); M Machala (République Tchèque); E C Bonefeld-Jørgensen, K Vorkamp (Danemark) J P Cravedi, B Le Bizec, J F Narbonne (France); H Esch (Allemagne); P Cocco, F Merletti (Italie); R Vermeulen (absent; Pays-Bas); A Agudo (Espagne); N Johansson (Suède); H Fiedler, N Hopf (Suisse); H P Glauert, R A Herbert, M O James, G Ludewig, L Robertson, A Ruder, N Walker (Etats-Unis)
Spécialiste invité
D O Carpenter (Etats-Unis)
Représentants
R Johnson (National Cancer Institute, Etats-Unis); B Stewart (Cancer Australia, Australie)
Observateurs
E A Carlson (General Electric Company, Etats-Unis); N Falette (Centre Léon Bérard, France); J D Schell (Solutia Inc et Monsanto Company, Etats-Unis)
Secrétariat du CIRC
R Baan, L Benbrahim-Tallaa, V Bouvard, R Carel, F El Ghissassi, Y Grosse, N Guha, B Lauby-Secretan, D Loomis, H Mattock, S Rinaldi, A Scalbert, L Schinasi, K Straif
Conflits d’intérêt
VJC est employé à l’Agence de protection de l’environnement des Etats-Unis (US EPA), et dirige leur programme IRIS, qui développe des évaluations des produits chimiques présents dans l’environnement. EC est employé à la Compagnie Générale Electrique et travaille sur des problématiques de responsabilité liées aux PCBs. En tant qu’employé, il possède des actions de l’entreprise. JS a assisté à la réunion des monographies en tant que représentant de la compagnie Monsanto et Solutia Inc. Tous les autres membres du Groupe de Travail, les spécialistes, les représentants, and le secrétariat du CIRC déclarent qu’ils n’ont pas de conflits d’intérêt.