Présentation
En avril 2016, le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), basé à Lyon (France), a réuni un Groupe de Travail pour réévaluer les effets préventifs du contrôle du poids sur le risque de cancer (Les membres du Groupe de Travail du volume 16 des IARC Handbooks sont listés à la fin de l’article et leur affiliation figure à l’Annexe supplémentaire, disponible avec le texte intégral de cet article sur NEJM.org). Le surpoids et l’obésité sont une accumulation anormale ou excessive de masse adipeuse qui présente un risque pour la santé. L’indice de masse corporelle (ou IMC, calculé en divisant le poids (exprimé en kilogrammes) par la taille au carré (exprimée en mètres), soit poids/taille2) est une bonne approximation pour évaluer l’ensemble de la masse adipeuse. Chez l’adulte, le surpoids est défini par un IMC de 25,0 à 29,9 et l’obésité par un IMC de 30 ou plus1. L’obésité peut en outre être divisée en classe 1 (IMC de 30,0 à 34,9), classe 2 (IMC de 35,0 à 39,9), et classe 3 (IMC ≥ 40,0) (Tableau 1).
Au niveau mondial, on estime que 640 millions d’adultes en 2014 (6 fois plus qu’en 1975) et 110 millions d’enfants et adolescents en 2013 (2 fois plus qu’en 1980) sont obèses. En 2014, on estimait la prévalence de l’obésité, standardisée sur l’âge, à 10,8 % chez les hommes, à 14,9 % chez les femmes2, et à 5,0 % chez les enfants3 –on compte globalement plus de personnes en surpoids ou obèses qu’en insuffisance pondérale.
On estimait à 4,5 millions le nombre de décès causés par le surpoids ou l’obésité dans le monde en 2013; sur la base d’estimations récentes, le fardeau du cancer lié à l’obésité représente jusqu’à 9 % du fardeau du cancer chez les femmes en Amérique du Nord, en Europe et au Moyen-Orient4. La masse adipeuse et la prise de poids tout au long de la vie sont en grande partie déterminées par des facteurs de risque modifiables, comme un apport d’énergie excessif (aliments et boisson) et (dans une moindre mesure) l’inactivité physique, qui sont les principaux facteurs de l’épidémie d’obésité. En 2002, le précédent Groupe de Travail du CIRC avait conclu qu’il y avait des indications suffisantes selon lesquelles éviter la prise de poids réduit le risque de cancer du côlon, de l’œsophage (adénocarcinome), du rein (cellules rénales), du sein (post-ménopausique), et de l’endomètre5.
Tableau 1. Définition par classe du surpoids et de l’obésité
Classe | Indice de masse corporelle |
Surpoids | 25,0-29,9 |
Obésité | |
Classe 1 | 30,0-34,9 |
Classe 2 | 35,0-39,9 |
Classe 3 | ≥ 40,0 |
Etudes épidémiologiques
Pour la réévaluation actuelle, la plupart des quelque 1000 études épidémiologiques évaluées étaient des études observationnelles sur le risque de cancer associé à l’excès de masse adipeuse, les études d’intervention (y compris les essais cliniques) sur la perte de poids ou le contrôle du poids étant peu nombreuses. Par conséquent, les évaluations étaient basées sur l’augmentation de risque associée à l’excès de masse adipeuse plutôt que sur la réduction de risque associée à des interventions préventives. La plupart des études ont fourni des estimations de risque pour des IMC d’adultes, alors que certaines donnaient des estimations pour des IMC ou la morphologie durant l’enfance ou l’adolescence, des changements d’IMC ou de poids au cours du temps, ou d’autres indicateurs d’adiposité, comme le tour de taille. Quand des méta-analyses d’études observationnelles adéquates étaient disponibles, nous avons aussi pris en compte les risques relatifs estimés. La plupart des risques relatifs rapportés sont calculés par rapport à un IMC compris entre 18,5 et 24,9.
Sur la base de ces données, nous avons nommé l’intervention « excès de masse adipeuse » et réaffirmé que l’absence d’excès de masse adipeuse diminue le risque de cancer aux localisations anatomiques identifiées précédemment (Tableau 2).
Tableau 2. Niveau des indications pour un effet préventif du cancer en l’absence d’excès de masse adipeuse, en fonction de la localisation ou du type de cancer*
Localisation de cancer ou type | Indications chez l’homme† | Risque relatif de la catégorie d’IMC la plus haute par rapport à un IMC normal (IC à 95%)‡ |
Œsophage : adénocarcinome | Suffisantes | 4,8 (3,0–7,7) |
Cancer du cardia | Suffisantes | 1,8 (1,3–2,5) |
Côlon et rectum | Suffisantes | 1,3 (1,3–1,4) |
Foie | Suffisantes | 1,8 (1,6–2,1) |
Vésicule biliaire | Suffisantes | 1,3 (1,2–1,4) |
Pancréas | Suffisantes | 1,5 (1,2–1,8) |
Sein : postménopause | Suffisantes | 1,1 (1,1–1,2)§ |
Corps de l’utérus | Suffisantes | 7,1 (6,3–8,1) |
Ovaire | Suffisantes | 1,1 (1,1–1,2) |
Rein (cellules rénales) | Suffisantes | 1,8 (1,7–1,9) |
Méningiome | Suffisantes | 1,5 (1,3–1,8) |
Thyroïde | Suffisantes | 1,1 (1,0–1,1)§ |
Myélome multiple | Suffisantes | 1,5 (1,2–2,0) |
Cancer du sein chez l’homme | Limitée | SO |
Cancer fatal de la prostate | Limitée | SO |
Lymphome diffus à grandes cellules B | Limitée | SO |
Œsophage : carcinome épidermoïde | Insuffisantes | SO |
Cancer de l’estomac non cardial | Insuffisantes | SO |
Voies biliaires extrahépatiques | Insuffisantes | SO |
Poumon | Insuffisantes | SO |
Peau : mélanome cutané | Insuffisantes | SO |
Testicule | Insuffisantes | SO |
Vessie | Insuffisantes | SO |
Cerveau ou moelle épinière : gliome | Insuffisantes | SO |
* IMC, indice de masse corporelle ; IC, intervalle de confiance ; SO, sans objet.
† « Indications suffisantes » signifie que le Groupe de Travail des IARC Handbooks considère qu’une relation préventive a été établie entre l’intervention (dans ce cas, l’absence d’excès de masse adipeuse) et le risque de cancer chez l’homme – c’est-à-dire qu’une association préventive a été observée dans les études dans lesquelles le hasard, les biais et autres facteurs de confusion peuvent être exclus avec confiance. « Indications limitées » signifie qu’un risque réduit de cancer est associé à l’intervention pour laquelle un effet préventif est considéré comme crédible par le Groupe de Travail, mais que le hasard, les biais et autres facteurs de confusion ne peuvent pas être exclus avec confiance. « Indications insuffisantes » signifie que les études dont on dispose ne sont pas de qualité, de cohérence, ou de puissance statistique suffisante pour permettre de conclure sur l’existence ou non d’un effet cancéropréventif de l’intervention, ou qu’on ne dispose d’aucune donnée sur l’effet cancéropréventif de cette intervention chez l’homme. Des informations supplémentaires sur les critères de classification des niveaux d’indication sont disponibles sur https://handbooks.iarc.fr/
‡ Pour les localisations de cancer avec des indications suffisantes, le risque relatif rapporté dans les méta-analyses ou analyses d’ensemble les plus récentes et complètes est présenté. L’évaluation dans la colonne précédente est basée sur l’ensemble des données disponibles au moment de la réunion (5-12 avril 2016) et revues par le Groupe de Travail, et pas seulement sur le risque relatif présenté dans cette colonne. Un IMC normal est défini comme se situant entre 18,5 et 24,9.
§ Risque relatif associé à 5 unités d’IMC.
De plus, nous avons identifié huit localisations supplémentaires pour lesquelles il y a aussi maintenant des indications suffisantes que l’absence de masse adipeuse diminue le risque de cancer : les cancers du cardia gastrique, du foie, de la vésicule biliaire, du pancréas, de l’ovaire et de la thyroïde, ainsi que le myélome multiple et le méningiome (Pour le détail des critères d’évaluation, voir la section des procédures de travail sur le site internet des IARC Handbooks https://handbooks.iarc.fr/).
Pour les cancers du côlon, du rectum, du cardia gastrique, du foie, de la vésicule biliaire, du pancréas et du rein, ainsi que pour les adénocarcinomes de l’œsophage, des associations significatives entre IMC et risque de cancer ont été rapportées, avec des relations dose-effet positives. Les risques relatifs notés dans les méta-analyses ou les analyses d’ensemble allaient de 1,2 à 1,5 pour le surpoids et de 1,5 à 1,8 pour l’obésité en ce qui concerne les cancers du côlon6,7, du cardia gastrique8, du foie9, de la vésicule biliaire10, du pancréas11 et du rein12; le risque relatif pour l’adénocarcinome de l’œsophage était de 4,8 pour un IMC de 40 ou plus13. Les résultats basés sur le tour de taille étaient généralement cohérents avec ceux rapportés pour l’IMC. Quand des études d’origines géographiques différentes étaient disponibles (pour les cancers du côlon, du cardia gastrique, et du foie, ainsi que pour l’adénocarcinome de l’œsophage), les résultats étaient cohérents entre les régions14. La stratification selon le sexe, quand elle était disponible, montrait généralement des augmentations de risque similaires chez les hommes et les femmes. Les études de randomisation mendélienne (qui implique de répartir des personnes dans des groupes sur la base de variations génotypiques pouvant être associées à un facteur de risque particulier) permettent de tirer parti des propriétés de variations génétiques pour surmonter les limites potentielles des études épidémiologiques observationnelles. Les résultats de telles études sur le cancer colorectal15 et l’adénocarcinome de l’œsophage16 étaient en accord avec ceux d’études de cohortes et d’études cas-témoins.
Des associations positives ont été observées entre IMC adulte et cancer du sein post-ménopausique dans de nombreuses études (risque relatif d’environ 1,1 par 5 unités d’IMC)6, en particulier pour les tumeurs positives aux récepteurs d’œstrogènes. Le tour de taille et la prise de poids à l’âge adulte étaient positivement associés au risque de cancer du sein après ménopause. Pour le cancer du sein pré-ménopausique, des associations inverses cohérentes ont été observées entre IMC et risque6. Toutefois, les données sur les associations avec le tour de taille ou la prise de poids étaient incohérentes. Ces différences demeurent incomplètement expliquées.
L’association entre IMC et cancer de l’endomètre était particulièrement prononcée pour le cancer de l’endomètre de type 1. Il y avait une forte relation dose-effet, avec des risques relatifs d’approximativement 1,5 pour le surpoids, 2,5 pour l’obésité de classe 1, 4,5 pour l’obésité de classe 2 et 7,1 pour l’obésité de classe 317. Une association positive modeste a été observée pour le cancer épithélial de l’ovaire, avec un risque relatif de 1,118. Les résultats d’études utilisant la randomisation mendélienne étaient cohérents avec ces résultats19. Chez les femmes ayant reçu un traitement hormonal substitutif, la force de l’association avec un excès de masse adipeuse était réduite pour le cancer de l’endomètre20, et aucune association n’a été observée pour le cancer de l’ovaire18 ou le cancer du sein post-ménopausique21.
Pour le myélome multiple, les données disponibles montraient des associations positives avec l’IMC adulte, avec des risques relatifs d’approximativement 1,2 pour le surpoids, 1,2 pour l’obésité de classe 1 et 1,5 pour l’obésité de classe 2 et 322. Sur la base de plusieurs études de cohorte et d’études cas-témoins, une association positive a été observée entre IMC et risque de méningiome23 et de cancer de la thyroïde24. Outre les localisations cancéreuses pour lesquelles on disposait d’indications suffisantes, nous avons conclu qu’il existait des indications limitées d’une association entre excès de masse adipeuse et cancer fatal de la prostate25, lymphome diffus à grandes cellules B26, et cancer du sein masculin27.
Nous avons passé en revue les études de huit autres cancers pour lesquels les indications d’une association étaient considérées comme insuffisantes, en raison de données limitées, de résultats incohérents ou d’absence de données suggérant une association : les cancers du poumon, de l’œsophage (carcinome épidermoïde), de l’estomac non cardial, des voies biliaires extrahépatiques, de la peau (mélanome cutané), du testicule, de la vessie, et du cerveau ou de la moelle épinière (gliome).
En complément, nous avons passé en revue les données se rapportant à l’IMC pendant l’enfance, l’adolescence, et la période de jeune adulte (≤ 25 ans) pour étudier si une augmentation de l’IMC à ces âges est liée au cancer dans la vie adulte. Des associations positives ont été rapportées pour plusieurs cancers aussi connus pour être associés à l’augmentation de l’IMC à l’âge adulte, à l’exception du cancer du sein post-ménopausique. Les associations étaient généralement comparables à celles qui sont liées à l’IMC adulte, malgré quelques différences d’ampleur et de profil.
Nous avons évalué des revues sur l’association entre masse adipeuse et récidive de cancer et survie après diagnostic et avons noté des variations considérables dans la conception des études, le paramétrage et le moment de la mesure de la masse adipeuse relatif au diagnostic de cancer. Les données étayent une association entre augmentation de l’IMC proche du moment du diagnostic et réduction de la survie chez les patientes atteintes d’un cancer du sein, alors que les indications pour d’autres cancers sont rares et moins cohérentes. Un essai d’intervention, dans lequel une intervention hypocalorique a conduit à une perte de poids modeste, montrait une réduction de récidive du cancer du sein28.
Les données sur la perte de poids, issues aussi bien d’études observationnelles21 que de suivis de patients ayant subi une chirurgie bariatrique29, suggéraient que la perte intentionnelle de poids pouvait réduire le risque de cancer, particulièrement pour le cancer du sein et de l’endomètre. Toutefois, le nombre et la qualité de ces études ont été jugés insuffisants pour une évaluation formelle.
Etudes expérimentales chez l’animal
De nombreux modèles animaux ont été utilisés pour étudier l’association entre obésité et cancer de divers organes. Dans l’ensemble, les données montraient que l’obésité chez les rongeurs favorise la tumorigenèse et augmente l’incidence spécifique de l’âge des cancers de la glande mammaire, du côlon, du foie, du pancréas, de la prostate (stade avancé) et de la peau, ainsi que, dans une moindre mesure, la leucémie30,31.
De même, un grand nombre d’études sur plusieurs modèles de rongeurs évaluaient l’association entre restriction calorique ou diététique, qui limite la prise de poids par rapport aux témoins nourris à volonté, et la prévention du développement ou de la progression de tumeurs. Nous en avons conclu qu’il y avait des indications suffisantes dans les expériences animales que la limitation du gain de poids corporel par restriction calorique ou diététique diminue l’incidence des cancers de la glande mammaire, du côlon, du foie, du pancréas, de la peau et de la glande pituitaire. En outre, une association inverse était également observée entre restriction calorique ou diététique et cancer de la prostate, lymphome et leucémie.
Données mécanistiques
Nous avons identifié quels mécanismes cellulaires et moléculaires, connus pour être altérés dans la cancérogenèse32,33, pouvaient être liés de manière causale à l’obésité, et avons évalué la pertinence de chaque mécanisme pour les cancers en général et pour des organes spécifiques lorsque suffisamment de données le rendaient possible. L’obésité est associée à des anomalies métaboliques et endocriniennes substantielles, incluant des altérations dans le métabolisme des hormones sexuelles, la voie de signalisation de l’insuline et l’IGF (insulin-like growth factor) et dans les mécanismes des adipokines et de l’inflammation34,35. On a noté de fortes indications selon lesquelles le métabolisme des hormones sexuelles et de l’inflammation chronique joue une rôle dans le déclenchement de la relation obésité-cancer, et des indications modérées d’un rôle de l’insuline et de la voie de signalisation de l’IGF. En outre, il y avait des données convaincantes de ce que la perte intentionnelle de poids corporel affecte positivement ces mécanismes. Les effets bénéfiques sur le risque de cancer semblent être amenés, au moins en partie, par la régulation de l’équilibre entre prolifération cellulaire et apoptose36, connues pour jouer un rôle déterminant dans la cancérogenèse.
Evaluation et conclusions
Sur la base des données disponibles, nous avons conclu que l’absence d’excès de masse adipeuse diminue le risque de la plupart des cancers. En outre, une revue des études expérimentales chez l’animal et des données mécanistiques suggère un effet causal préventif de la perte de poids intentionnelle sur le risque de cancer, bien que ceci reste à établir chez l’homme.
Les formulaires de déclaration de conflits d’intérêt fournis par les auteurs sont disponibles dans le texte intégral de cet article sur NEJM.org.
Le volume 16 des IARC Handbooks a été financé en partie par l’American Cancer Society et les Centers for Disease Control and Prevention des Etats-Unis.Par le Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon (France) (B.L.‑S., C.S., D.L., Y.G., K.S.); et German Cancer Research Center (DKFZ), Heidelberg (F.B.).
Les membres du Groupe de Travail des IARC Handbooks étaient les suivants : Graham Colditz, coordinateur; Annie S. Anderson, Ronald A. Herbert, Rudolf Kaaks, et Henry J. Thompson, coordinateurs des sous-groupes ; Jennifer L. Baker, João Breda, Tim Byers, Margot P. Cleary, Mariachiara Di Cesare, Susan M. Gapstur, Marc Gunter, Stephen D. Hursting, Michael Leitzmann, Jennifer Ligibel, Andrew Renehan, Isabelle Romieu, Isao Shimokawa, Cornelia M. Ulrich, Kaitlin Wade, et Elisabete Weiderpass.